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Dialectique :
Quel est le propos de fond et quelles
sont les diagonales de réflexion que j’aborde dans la problématique d’un projet tel que « Le Solitaire...
des marées » ?
L'espace. L’espace au
sens propre et au sens premier du terme. L’espace perçu et considéré
comme un tout unique et indivisible en opposition aux
continents-îles qui ont succédé à la dérive des plaques pour finir
par former des continents-mondes opposés et divisés entre eux alors
qu’ils sont contenus dans un même espace cosmologique.
Au départ était la mer
unique, la mer des mers, de laquelle a jailli le bouillon de
l’apparition de la vie sur terre. La vie a émergé de la mer pour
passer par le transit du « no man’s land » de friction qu’est
l’estran. Transition de la vie de l’espace dynamique au travers des
marées vers l’espace statique des continents au travers des
plissements géologiques. Passage du « dynamique » au « statique ».
Aussi, dans cette
dimension, au travers de ma démarche et perception d’artiste, face à
la perception du monde contenu et considéré comme une universalité,
ce qui m’intéresse en priorité, c’est non pas le plein que l’espace
génère mais le vide qu’il engendre. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui
a quitté une situation première pour évoluer et transiter vers une
situation seconde et comment des liens de mémoire peuvent
aujourd’hui continuer à s’entretenir pour qu’il n’y ait pas rupture,
au final, d’une perception unique et cosmologique de notre
univers-monde, et par là même, de notre perception des mondes qui
nous entourent.
Les mammifères que nous
sommes sont sortis de ce bouillon de culture premier qu’est la
Thalassa, mer unique aujourd’hui divisée dans la perception des
hommes en océans-mondes et en mers séparatrices des territoires.
Dans cette tentative de chercher, dans un premier temps, à présenter
le projet « Le Solitaire... des marées », dans un second temps, à le
proposer, dans un troisième temps, à peut-être trouver au final des
interlocuteurs qui me permettront de le mettre
en oeuvre et de le réaliser, mon propos est d’essayer de rétablir et
de mettre en exergue une vérité commune et universelle à tous les
êtres de cette planète, tant pour maintenant que pour les
générations futures, qui est de dire : « Nous sommes tous embarqués
sur un même navire, sur une même planète-mer qui est unique et
indivisible et de laquelle nous ne pouvons continuer à émerger que
dans une perspective commune sans quoi nous allons nous perdre ».
Aussi, est-ce pourquoi
je travaille, au travers de ce projet, sur la dimension de la
mémoire et sur la dimension même du temps. Le temps cosmique et
universel, celui qui est la juste origine et la cause initiale de ce
« vibratoire » que sont les marées et qui nous ramène au Tout
cosmologique et à lever la tête pour nous rendre compte que nous
vivons et que nous évoluons dans un environnement systémique
complexe dans lequel nous sommes inclus, autant dans notre espace de
vie en milieu urbain que dans nos espaces de vie politique et
sociologique.
Cela m’a amené à
considérer la chose suivante : l’espace vide est à l’intérieur.
L’espace vide est à l’intérieur des choses autant qu’en nous-mêmes.
S’il était à l’extérieur, quelles limites et quelles frontières
aurions-nous pour le délimiter ? Sans frontière, pas de limite, sans
limite pas d’espace et sans espace : néant, vide ou plein ? C’est en
ce qui me concerne le vide qui m’intéresse et qui m’interpelle, le
vide et son état vibratoire.
Je suis sculpteur, je
travaille donc sur cette dimension qu’est l’espace : sa teneur, sa
perception, son énergie et ses énergies, considérant que nous
évoluons dans un monde premier qui est, avant toute chose,
vibratoire et qui par conséquent met les choses, les événements et
les situations en interrelations et en interactions les unes par
rapport aux autres et dont nous, êtres humains, faisons partie au
même titre que le plancton.
L’espace n’est pas vide
puisque nous l’occupons. Par voie de conséquence, l’espace vide doit
être plus à l’intérieur des choses qu’à l’extérieur, avec en
extension et par extrapolation la dimension résultante du vide, de
l’oubli et la déperdition d’une « traçabilité » des situations de
cause à effet : d’où mon intérêt pour la « Mémoire ». Mémoire
collective, mémoire universelle, mémoire cosmologique inscrite dans
les gènes de chaque humain autant composé de poussières d’étoiles
que du « vibratoire » qui nous a fait passer de l’espace dynamique
de la mer à l’espace statique des continents dérivés devenus des
continents-mondes opposés.
C’est une dialectique de
fond. Aussi, partant de cette base, il m’intéresse dans ma démarche
d’artiste et de plasticien, en regard de notre océan-monde, de
mettre en valeur et en exergue toute cette dimension des énergies
sous-jacentes : percevoir le vide comme chargé d’un quelque chose,
c’est supposer l’espace comme ayant une capacité énergétique
vibratoire rémanente et rayonnante qui agit sur le Tout.
Aussi, ai-je abordé ce
projet « Le Solitaire... des marées » selon un angle précis pour le
faire entrer dans le vif du sujet qui m’interpelle. J’ai considéré,
face à la dimension européenne naissante, qu’il était important de
reposer des jalons de mémoire entre ces deux continents, de l’autre
côté de l’Atlantique, afin de chercher à rétablir le lien fortement
ancré qui existe entre la population européenne déracinée en
Amérique du Nord et la vieille Europe. Pour cela, j’ai considéré que
la mer était le meilleur vecteur de liaison possible et envisageable
pour garder et entretenir ce lien de mémoire des territoires
séparés. J’ai pris en référence un point de repère arbitraire mais
générique selon notre époque, j’ai choisi le point de départ de la
découverte du Canada par Jacques Cartier en route vers la route des
Indes, Saint-Malo, pour proposer d’implanter une « borne-mémoire »
en Amérique du Nord. Il me fallait, pour rester dans le réel d’une
proposition, choisir un symbole fort, j’ai donc décidé de choisir
celui-là plutôt qu’un autre, quand bien même il serait tout autant
possible de proposer ce projet ailleurs dans le monde. J’ai imaginé
qu’il était important d’établir, en regard des flux migratoires
importants depuis la vieille Europe vers le Québec, une dimension
perceptive de l’espace que représente cette vieille Europe pour les
descendants des populations émigrées. Aujourd’hui vivent en
Amérique, mais c’est vrai partout ailleurs, des êtres qui se sont
déracinés de la vieille Europe, qui en sont à plusieurs générations
successives de déracinement et pour qui les racines, la quête des
racines, l’entretien de la mémoire, sont des choses importantes. Par
conséquent, j’ai choisi de proposer ce projet « Le Solitaire... des
marées » en m’intéressant à la mémoire collective de la population
nord-américaine québécoise.
Qu’est-ce à dire et à
formuler ? Un jour, j’ai rencontré une grande critique d’art
internationale à qui j’ai rapidement expliqué ma démarche. Sa
réaction a été aussitôt de me dire : « Mais vous faites un art
racial ! ». J’ai été très surpris de cette réaction, là où mon
propos est de parler d’universalité au travers d’un matériau, la
mer, et de la mémoire de la mer. Cette critique d’art était
anglaise. J’ai pris conscience là à ce moment de l’importance des
charges symboliques face aux territorialités. Historiquement, le
Québec a été découvert par Jacques Cartier, mais ensuite les
Britanniques ont pris le pouvoir des territoires :
divisions/séparations. Voilà nos continents-mondes de plus en plus
tectoniques, d’où l’importance de restituer les origines communes :
la mer.
Jacques Cartier est un
prétexte. Ce qui m’intéresse, c’est d’apporter la mer et la mémoire
de la mer à l’intérieur des terres, au cœur de l’urbain, là où
vivent à présent des êtres qui ont en commun un fait qui les
rassemble : un jour ils se sont déracinés. Quel souvenir, quelle
trace, quelle évocation du lieu d’origine entretiennent-ils dans la
mémoire à la fois individuelle et collective ?
Le philosophe Michel
Foucault s’entretenait sur la dimension des « Espaces autres » qu’il
a classé de la façon suivante : utopiques et hétérotopiques. Venise
est un espace symbolique important partout dans le monde pour tous
les amoureux. Pour les Québécois, Saint-Malo fait figure d’une
Venise. Pourquoi ? Parce que c’est le point de départ de leur
existence. Il est symbolique mais, culturellement, nul Québécois ne
viendrait un jour en Europe sans faire ce petit détour pour aller
voir cette terre de leurs origines. Aussi, apporter un point
symbolique, un monde-mer, un phare à terre qui restituerait dans la
mémoire collective québécoise la mémoire de la mer de ce point de
transition, tout comme la vie qui s’est mise à transiter de la mer
vers la terre, me semble être un vecteur prioritaire et important
face aux divisions de notre époque.
Ainsi, « Le Solitaire...
des marées » est-il un pulsar. Il a une énergie, elle est
vibratoire. C’est l’énergie de la mer et donc de la vie. En
entretenir la mémoire via ce projet d’une mémoire marégraphique
universelle quotidiennement suspendue dans l’espace et renouvelée à
chaque marée ne peut être qu’un acte fédérateur extrêmement
pacifiste et positif pour la mémoire collective.
Voilà dans les grandes
lignes ce qu’un sculpteur peut traduire de son intention d’agir et
de construire. Si j’ai une chose à faire sur cette terre, c’est la
réalisation d’un tel projet. Si j’arrive à le réaliser, alors je
pourrai dire que ma vie aura été remplie. C’est un petit projet en
regard de bien des choses qui peuvent se réaliser dans le monde. Par
contre, de par sa symbolique et de par son universalité, cela le
propulse au rang de ce que l’on appelle une oeuvre d’art. « Le
Solitaire... des marées » est une oeuvre d’art, et en tant que
telle, elle est destinée à rayonner et à s’adresser à tous les êtres
de cette planète. Son rayon d’action est non pas celui d’une vie
mais celui de plusieurs générations d’êtres. Voilà pourquoi je
m’acharne tellement à essayer de réaliser et de finaliser ce projet
tant il dépasse mon petit humain.
Dans ce processus de
proposer un projet, en situation intermédiaire, tel un avant-projet
dans le projet, je vais maintenant essayer de faire
prélever les sables de toutes les mers du monde, 7000 sables pour
70 mers, afin de rassembler la matière première qui permettra de constituer le
diamant qui coiffera le projet et l'aménagement du parvis du "Solitaire... des marées".
JFA
Sculpteur
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