Parrainage de Christian Lambert
Inspecteur Général de
Finances de l'Otan
Parrain d'Honneur du projet "Le
Solitaire... des marées"
Prélèvements N°0004
/ N°0014
/ N°0095
/ N°0116
Quadrature du
cercle... Format d'écriture
Jean-François,
Tu m’as lancé le défi,
amicalement, sans sanction en cas d’insuccès, de mettre par écrit
pourquoi, en quoi, ton projet du " Solitaire des marées " me
fascine. Je t’ai répondu que je prendrais le temps de te répondre.
Voilà le temps venu.
D’abord, sache que je ne suis pas
du tout lié au monde artistique. Mais je suis ainsi fait que j’ai
besoin de rêver pour vivre, de voir que d’autres secteurs de la vie
que le mien développent des idées qui font voyager, même si c’est en
mode mental ou virtuel. On fait parfois de plus merveilleux voyages
dans sa tête que dans la réalité.
Je ne te connais pas depuis
longtemps, mais c’est cela le contact par le Net, c’est la
spontanéité qui fait jaillir l’étincelle. Peut-être nous
rencontrerons-nous un jour ? Je l’espère, surtout si c’est pour
lancer ton projet. Et puis, même s’il ne se réalisait pas,
qu’importe sur ce plan.
Je ne suis pas du tout certain de
pouvoir classer exactement par ordre d’importance les raisons pour
lesquelles ton Solitaire me fascine, mais je vais te livrer tout
cela comme ça vient, que chacun fasse son tri, et puis on verra ce
qu’il en sortira.
Ton Solitaire des marées est
avant tout une idée, une représentation mentale que seuls sur notre
petite Terre les humains sont capables de comprendre. Prendre,
emporter, dérober, voler, un morceau de mer quelque part sur le
globe pour le transplanter ailleurs, quoi de plus merveilleux pour
l’esprit ?
D’abord, il y a
le trou dans l’eau que tu vas faire.
Toi qui es Normand, imagine que
tu traces un carré dans sur le sommet d’une motte de beurre, que tu
creuses jusqu’au fond, puis que tu le déposes tel quel ailleurs, tel
une sculpture. Ce qui est encore plus éphémère, c’est le trou dans
l’eau. Et si ce trou est carré en plus, il faut parvenir à se
l’imaginer. Je n’ai jamais vu de ronds dans l’eau qui étaient
carrés. Mais l’esprit peut parfaitement l’imaginer ! De même,
combien de temps un trou dans la motte de beurre dure-t-il ? Et
combien dure un trou dans l’eau ? Ton compatriote Brassens parlait
du trou dans l’eau de ses copains qui jamais ne se refermait.
Superbe image de la permanence dans l’esprit, dans l’imaginaire !
D’autres que toi ont déjà pensé
et réalisé le concept du trou dont le contenu est transplanté
ailleurs. Si je ne me trompe pas, la surface plantée d’arbres entre
les 4 immeubles de la grande Bibliothèque de France à Paris, qui
délimitent une surface rectangulaire d’un hectare, est le résultat
d’un " trou " qui a été fait dans une forêt près de Paris (je ne
sais plus laquelle). Ce trou aurait ensuite été comblé par du
gravier pour montrer la provenance de cet hectare de forêt, et pour
éviter que la cicatrice ne disparaisse. Je trouve cette histoire
fascinante ! Et j’utilise ce mot en sachant ce que j’écris. Aucun
autre être vivant que l’homme ne peut comprendre ça, pas même les
écureuils ni les oiseaux de la forêt d’origine quand ils font face à
un hectare de caillasse, perdu en pleine forêt.
Mais la différence qu’il y a
entre cette réalisation magnifique et ton Solitaire, c’est la notion
de permanence. Que dure un trou dans l’eau ? La blessure due au coup
de canif dans l’océan ne durera qu’un moment immensément court ! A
moins que tu ne me permettes de te souffler une idée qui m’est venue
comme ça, au détour d’un instant de folie. Si ton solitaire se
réalise, ce que je souhaite du plus profond de moi-même, j’aimerais
en faire le miroir : un trou dans l’eau à Saint Malo, de la même
dimension que ton œuvre, dans les mêmes matériaux, avec plein de
lumières intérieures la nuit, pour attirer le regard des hommes, et
les faire partir ensuite en voyage imaginaire jusqu’à son
correspondant. Un Solitaire ne brille-t-il pas de mille feux ? Ceux
de son lieu d’extraction, et ceux qui émanent du plus profond de
lui-même, peu importe où il se trouve sur le globe ? A nous deux,
nous aurions réalisé la permanence d’un trou dans l’eau (et en plus,
d’un trou carré !), avec toute la signification que porte ton projet
(l’apport de la marée de Saint Malo au Québec).
Et pourquoi ne pas éclairer le
trou dans l’eau de manière symétrique par rapport à ton Solitaire ?
Avec le décalage horaire, ce serait un vrai défi de tenir compte des
jours et des nuits ici et là ! La dimension temporelle jouerait sur
plusieurs registres, dans ce coup de la main de l’homme dans la
nature, dans l’histoire, dans la géographie.
Que penses-tu de l’idée de
demander à la municipalité de Saint Malo de pouvoir puiser une
colonne d’eau de mer à marée haute ? C’est comme si tu demandais
l’autorisation de récolter quelques mètres cubes d’eau de pluie, ou
de faire une prise de sang pour l’injecter là où il sera plus utile.
Sur ce plan, je n’ai envie de te
faire passer qu’un seul message : fais un trou dans l’eau, et si
possible, rends le permanent, empêche qu’il se referme, pour montrer
toute sa signification !
Ensuite,
il y a quel trou dans l’eau tu vas faire,
le lieu où tu vas
le faire, le lieu où tu vas le transporter.
Ton projet, c’est quoi,
essentiellement ? C’est dans mon esprit un appel aux hommes qui
vivent au Québec, à Montréal ou à Québec, pour qu’ils plongent dans
le passé, leur passé, même s’il est inconscient. " D’où viens-tu ?
", c’est la question que tu leurs poses, c’est ton invitation à leur
réflexion. Et quand tu dis "d'où viens-tu ? ", tu dis aussi et
surtout " qui es-tu ? "
Pourquoi faire un trou dans l’eau
à Saint-Malo, plutôt que n’importe où ailleurs ? L’histoire n’est
pas absente de ton processus mental. C’est de là qu’est parti
Cartier, cet aventurier, ce plus ou moins bandit, qui a le premier
tracé une route pour les hommes qui n’avaient rien, ou si peu à
perdre, mais qui méritaient peut-être, certainement, une seconde
chance. Le trou dans l’eau que tu vas faire ne sera peut-être que
purement virtuel, en fonction de la bienveillance des Malouins, mais
il existera quoi qu’il arrive. Et ça, c’est aussi un message adressé
aux Bretons : Sont-ils prêts à soutenir un projet qui réédite, sous
les formes technologiques d’aujourd’hui, l’aventure de Cartier ?
Vont-ils se montrer frileux ou ouverts d’esprit ? Tu dois les
convaincre que ton projet est une filiation moderne de cette
glorieuse époque !
Où vas-tu faire ce trou dans
l’eau ? Bien plus que dans le port de Saint-Malo, je te souhaite de
le faire dans le cerveau des hommes, et s’il faut le concrétiser
matériellement pour être mieux compris, je t’ai livré mon opinion.
Mentalement, tu vas le faire de ce côté de l’Atlantique, et
symboliquement, il sera perçu de l’autre côté de l’océan.
Imagine quel hasard, si l’eau que
tu puisais à Saint-Malo était exactement celle qui a porté le navire
de Cartier ! Qui peut dire avec certitude que c’est elle ou non ?
Où vas-tu transporter ton trou ?
En Amérique, bien sûr, là où se
concentrent un nombre incalculable de rêves de nouveau monde. Et là,
il signifiera quelque chose, parce qu’il ne sera pas un trou, mais
bien plus que ça : un puit ! Dans lequel ils iront puiser un instant
de leur passé, une parenté lointaine avec toi et moi. Ils se
souviendront que les hommes sont finalement tous parents d’une
manière ou d’une autre, et qu’il n’y a rien de plus stupide que de
se combattre. Ton projet aurait-il un petit côté " pacifiste " ?
Ça
ne me déplairait pas.
Il y a aussi la
référence à l’histoire.
L’histoire et le passé sont deux
notions fort proches, comme tu le sais. La différence entre elles,
c’est la cohérence. Bien sûr, il y a des exemples extrêmement
nombreux d’incohérence de l’action des hommes sur Terre. Mais ce qui
compte surtout, ce sont les preuves de cohérence, non ? Et j’ai la
prétention de penser qu’une seule preuve de cohérence a une valeur
infiniment supérieure à mille ruptures.
Ton œuvre est une transposition
moderne de l’aventure de Cartier. Le risque à l’époque était énorme.
Aujourd’hui personne n’oserait franchir l’Atlantique dans un tel
rafiot ! Et toi, tu vas voyager dans le monde virtuel, mais qui
n’est nullement exempt de dangers parce que comme par le passé, le
voyageur ne peut pas savoir où sont les pirates.
Et tu vas redonner une vie à
Cartier, ainsi que tu vas le remettre dans la mémoire immédiate des
hommes qui vont s’intéresser à ton Solitaire, ou même qui simplement
vont passer devant cet " objet ". Quel hommage ! Combien d’hommes
seraient au bord de l’explosion de l’ego s’ils savaient que
plusieurs siècles après leur disparition, on pense encore à eux.
Au-delà de Cartier tout seul,
c’est tous les aventuriers des mers que tu honores. C’est finalement
tous les aventuriers, tous ceux qui ont osé se lancer dans
l’inconnu, dans le risque, plutôt que de rester confortablement au
coin du feu avec bobonne, qui resurgissent du passé grâce à toi. Et
aussi, c’est un encouragement aux aventuriers présents et futurs à
défier les nouvelles frontières, celles que l’homme n’a pas perçues,
pas encore franchies, ou pas encore osé franchir. Et pourquoi
limiter ceci à l’aventure géographique, pourquoi ne pas ouvrir nos
horizons à ceux qui voyagent dans d’autres univers, la musique, les
arts, la science, la philosophie, et mille autres domaines ?
Ton projet est une extraordinaire
géométrie variable, à travers le temps, à travers le monde, à
travers les esprits.
Et tout ça, à partir d’un hommage
à un navigateur. Quel merveilleuse Porte il a ouverte à l’homme !
Quelle porte ouverte tu enfonces, alors que personne ne l’avait vue,
ni ouverte, ni fermée !
Il est parti de Saint Malo, il a
amadoué la marée, les courants, la masse d’eau parfois si hostile,
il a atteint un but probablement assez indéfini, mais qui a donné
vie à tellement de choses et de personnes ! Soit dit en passant, il
devait quand même avoir une fameuse connaissance de la nature, de la
mer, des vents, des hommes, de cent et de mille choses dont nous
n’avons pas l’idée.
Et toi, simplement, l’air de ne
pas y toucher, tu le fais revivre dans la mémoire des hommes qui ne
l’ont jamais connu autrement que dans des manuels scolaires
d’histoire souvent synonymes de pénibilité, ou alors juste sous la
forme d’une identification de lieu (la Place Jacques Cartier ? C'est
juste là, un peu plus loin à droite…).
Peut-être un jour, l’histoire
rendra-t-elle justice aux hommes, et nous pourrons alors percevoir
Cartier et tous ses " collègues " avec tous leurs défauts et
qualités, tellement humains, si loin des " dieux " qu’ils deviennent
avec le temps qui passe. Mais c’est cela qui est le fondement de
l’homme, des hommes, la perfection n’est pas de leur monde et
pourtant, à force d’additionner des essais et échecs, vient un jour
une étincelle qui justifie tous les efforts entrepris.
L’inutilité de ton
Solitaire.
A quoi va-t-il
servir ? Qui a ou aura besoin de connaître l’état de la marée à
Saint-Malo alors qu’il est au Québec ? Économiquement, ton Solitaire
est proche du zéro absolu. C’est aussi ça qui le rend fascinant. Tu
sais, il y a dans mon pays, que tu connais plus qu’un peu, un
Mesureur de nuages. C’est aussi utile que de connaître la marée là
où on n’est pas. A Gand, tout au sommet d’un haut immeuble, il y a
un homme qui tend les bras écartés vers les nuages. Entre ses mains,
il y a un mètre, juste pour mesurer la longueur des nuages. Et toi,
en bas, les pieds sur la terre, tu peux fantasmer sur cet éphémère.
Évidemment, tu te doutes bien que cet homme est une sculpture, parce
qu’aucun de nos contemporains dans notre société hyper fric ne
voudrait se prêter assez longtemps à ce jeu. Mais j’attends encore
qu’on m’explique, qu’on me démontre l’intérêt économique qu’il y a à
mesurer les nuages qui passent. C’est probablement ailleurs que
dans la rentabilité économique qu’il faut chercher la clé. Et c’est
très bien ainsi, ça signifie que nous ne vivons pas totalement sous
la dictature de l’argent. Il y a autre chose dans nos vies. La
comparaison entre " mon " mesureur de nuages et ton Solitaire des
marées saute aux yeux, en tout cas, aux miens.
Christian LAMBERT
Inspecteur général des finances de l'Otan
Ancien Chef de cabinet
du ministre des Armées de Belgique
Belgique, Juin 2001
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