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Pierrepont
Cimetière militaire français |
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Je n'en suis pas à ma
première visite de cimetières militaires, sans ou avec
Rüdiger. En venant de Basse-Normandie, je crois que je peux
dire qu'ils font tout simplement partie de l'un des éléments
quotidiens, de mon quotidien, depuis mon plus jeune âge.
Pourtant, je n'arrive toujours pas à m'y habituer.
Partout, autour de
chez moi, il n'y a pas un seul de mes chemins de randonnées
le long desquels l'on ne découvre là une stèle à la mémoire
de ceux-ci qui se sont faits fusiller, de ces treize autres
là qui se sont faits pendre, de celui-là qui a été décapité,
de ces 600 là qui sont morts noyés en moins de deux minutes
juste quelques minutes après avoir été largués en parachute
au-dessus des marais, de ces 250 autres qui ont été tués en
moins de vingt minutes à l'arme blanche. C'est partout le
nombre qui est difficile, le côté rectiligne, l'alignement à
perte de vue. Ce qui m'avait fait écrire ce texte dans les
années 80 :
Nous n'avons qu'une vie,
celle qui ne nous passionne pas forcément.
L'autre, nous passons
notre temps à la rêver à longueur de journées…
Rimbaud disait : "La
vraie vie est ailleurs !".
Notre vrai problème, à
nous, c'est que nous sommes ici.
Dans ce contexte, il y a…
Il y a les choses que
l'on regarde, et notre capacité pour les imaginer autres.
Il y a la vie que l'on
éprouve, et celle qui est là pour nous éprouver.
Il y a le temps qui nous
effleure le visage, et notre âge pour nous en moquer encore.
Il y a la pluie,
merveilleuse, belle, fantastique, superbe, pour nous laver
les yeux de l'orage.
Il y a le vent, sublime,
enjoueur, câlin, que l'on étreint, et qui nous entraîne.
Il y a le temps, et
là-bas devant le ciel. Ah ! J'allais oublier la veille,
pour nous en rappeler
encore le lendemain.
Il y a ce qu'il ne faut
pas oublier, la vie. Bon dieu, comme c'est merveilleux.
Écoute, regarde, ferme
les yeux… Non, fais-le quand tu seras seul(e),
tes ami(e)s ne
comprendront pas.
C'est une histoire entre
toi et toi et la vie, dans la vie. Tu comprends…
Tu comprends ce qui est
en train de se passer ? Tu es là.
Non, là-bas, c'est
ailleurs. Oui, je sais, tu aimerais bien y être, y aller.
Mais ce n'est pas ça.
Là-bas, tu y seras. Et après, tu feras quoi ?
Quoi de plus que là où tu
es tout de suite ?
Écoute, écoute la vie… Tu
l'entends ? Elle est belle, hein !
Si, elle est belle,
superbe même.
Oui, je sais, il y a
l'orage là-bas.
Et le tonnerre aussi. Ce
n'est pas un jeu.
Mais après... C'est lui
aussi qui me fait écrire aujourd'hui
sans craindre pourtant de
dire… Oh ! Bon dieu que la vie est belle.
La misère, je connais. La
guerre, j'ai vu ce qu'elle a fait chez moi.
Les pâquerettes des
champs, oui, c'est vrai, elles sont blanches.
Il y en a des champs, des
champs et des champs.
Des champs de marbre, des
champs de marbre blanc.
Non, cela il faut
oublier. Mais oublier en partie seulement.
Superbe même. Celle-là,
il ne faut pas l'oublier.
Tu sais, moi, je n'ai
envie de rien.
Je regarde, je passe,
j'écoute, mais au fond de moi, je n'ai envie de rien.
Si, bien sûr, il y a ce
que je veux faire. Mais ça ce n'est rien.
C'est un jeu. Alors je
joue...
L'enjeu…? La mise est
grande.
C'est vrai, c'est moi que
je joue.
Cela, je ne sais pas
l'expliquer. Mais ce n'est pas très important.
Savoir : t'auras qu'à
dire que tu sais pas.
Si on te demande, t'auras
qu'à dire que tu sais pas. C'est Tout.
Tu comprends. Tu
comprends la vie…
Il y a… Il y a celle que
tu vis.
Celle qui t'entraîne tous
les jours.
Oh ! Oui, bien sûr, celle
qui te pousse et qui te presse contre les autres.
Ce n'est pas de cette vie
là que je veux te parler.
Je veux te parler de
l'autre, de celle que tu laisses à côté.
Écoute, écoute la vie, tu
l'entends ?
Non, pas celle de dehors.
Mais celle qui est en toi et que tu portes dans ta tête. Tu
l'entends…?
Petit poème de JFA écrit
dans les années 80.
En arrivant à
Pierrepont avec Rüdiger, après être passés par
Châlons-en-Champagne, Verdun, comment ne pas avoir à
Pierrepont, en route vers la documenta, une pensée émue pour
►
mon arrière grand-père et mes arrières grands-oncles,
tous morts au champ d'honneur.
Comment ne pas avoir
une pensée émue pour mon grand-père paternel qui avait été
choisi par l'armée française pour être fusillé pour
l'exemple parce qu'il avait fait partie de ceux qui
s'étaient rebellés sur le front contre la boucherie dans les
tranchées, qui s'en est sorti en ayant été envoyé en camp
militaire disciplinaire au Sénégal, pas fusillé uniquement
parce que son père et tous ses frères avaient été tués au
combat.
Comment rester
insensible face à ces alignements ?
Comment rester
insensible devant toutes ces
►
croix alignées ?
Comment rester
insensible devant cette
►
croix coloniale ?
Comment rester
insensible devant cette
►
croix juive ?
Comment rester
insensible devant toutes ces
►
croix de soldats
russes morts pour la France ?
Voir
►
Pierrepont CMF
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