…J’ai rencontré Rüdiger
Abshalom Westphal pour la première fois le 20 juillet 2005 à
Siouville à l’occasion de la 3ème Biennale des
Châteaux de sable cARTed. Là, nous avons fait connaissance et
passé quatre jours ensemble avec une cinquantaine d’artistes.
Ensuite, nous sommes partis tous les deux visiter les îles
anglo-normandes Jersey et Guernesey. Là, Rüdiger m’a collecté du
sable à Jersey où j’ai pris
►
cette photo qui illustre ma
troisième carte postale d’artiste. Après notre voyage dans les
îles, devenus frères de mer, nous avons continué notre route
maritime en visitant tous les deux le Cotentin, le cap de la
Hague, le nez de Jobourg, le plus petit port de France Port-Racine au détour duquel nous sommes allés voir le jardin de
Jacques Prévert après quoi nous sommes allés nous recueillir sur
les tombes de la famille Prévert. Ensuite, j’ai invité Rüdiger à
venir passer quatre cinq jours à Amfréville dans la maison de
mes parents. Là, nous avons réalisé « Peace-Action = Gun-Cutup »
en découpant avec mon père Louis Aillet, Rüdiger et moi-même, un
Mauser Kar 98 K ramassé par mon père en Normandie en 1944 sur
les plages du Débarquement et nous sommes allés à la pêche aux
moules dans la baie de Sallenelles où elles sont pêchées depuis
plus de 1000 ans. Nous nous sommes appris les techniques pour
les déguster en famille de la façon la plus simple, la plus
naturelle et la plus humaine qui soit, celle de partager le
repas ensemble avec mes sœurs, mes parents, mes beaux-frères,
mes neveux et nièces et Rüdiger.
La seconde fois que j’ai
rencontré Rüdiger, c’est à La Haye aux Pays-Bas à l’occasion de
la publication et de la signature de ma troisième carte postale
d’artiste à la De Wrije Academie avec le réseau cARTed où j’ai
mis Rüdiger à l’honneur en train de me collecter du sable pour
mon projet de collecte de matière première lancé sur 5 ans
(2005/2010). Après la rencontre avec le réseau cARTed à la De
Wrije Academie, Rüdiger et moi sommes partis tous les deux de
Den Haag jusqu’au nord des Pays-Bas où Rüdiger m’a fait un
immense cadeau. Il m’a amené voir la digue qui sépare la mer du
nord de la mer intérieure des Pays-Bas, la Ijsselmeer, en
passant par Leiden, Hoofddorp, Amsterdam, Purmerend, Hoorn,
Wieringer Werf, Den Oever, Breezanddijk, Zurich, Sneek, Joure,
Heerenveen, Meppel, Zwolle, Apeldoorn. Là, à Apeldoorn, Rüdiger
m’a fait le plus beau cadeau de ma vie. Il m’a amené à
Hoenderloo et m’a fait visiter le Kröller-Müller Museum en me
servant de guide du haut de ses 61 ans avec tout l’héritage de
ses acquis de professeur d’art et d’ancien élève de Joseph
Beuys. C’est le plus beau cadeau que Rüdiger pouvait me faire
quelques jours avant mes 44 ans. Je ne vais pas oublier ce
moment où nous sommes montés tous les deux jusqu’au sommet de
l’escalier de Krijn Giezen. Une ascension qui se mérite, que le
petit homme de 52 kg que je suis ne peut que mesurer de façon
très émue quand l’on sait que mon accompagnateur dépasse les 120
kg. Respect, simplement du respect, c’est ce que j’ai ressenti
durant les haltes de son effort en escaladant ces marches. Après
le Kröller-Müller Museum, nous avons roulé jusqu’à Euskirchen,
en Allemagne, en passant par Arnhem, S-Hertogenbosch, Eindhoven,
Maastricht, Köln. Nous sommes arrivés à Euskirchen le soir du
dimanche 18 septembre 2005. Là, nous sommes allés manger dans un
bon restaurant pour fêter cette arrivée avec la fatigue de la
route. Il faut voyager ensemble pour que puissent se forger les
grandes amitiés. C’est ce que nous avons fait et c’est ce que
nous nous appliquons à faire tous les deux depuis que nous nous
sommes rencontrés. Il en va ainsi des rencontres qui nous
marquent. Elles s’imposent à la vie. Il nous appartient de
savoir leurs faire de la place. Cela porte un nom. Cela
s’appelle VIVRE ! Avec Rüdiger, nous sommes tout simplement dans
la vie. Ce chemin que nous avons parcouru tous les deux s’est
imposé à nous sans effort. Nous sommes en chemin sur le chemin
de la vie. Simplement parce que nous sommes et pour ce que nous
sommes, sans maquillage, sans chercher à jouer avec les
apparences mais tout simplement en nous contentant d’être et
tout naturellement d’être là. Nos yeux nous guident pour
regarder. Rüdiger m’a guidé pour me montrer ce que mes yeux
devaient voir à travers les siens et j’ai regardé ce qu’il m’a
montrait. Je lui ai montré ce que je regardais. Nous nous sommes
guidés l’un l’autre sur ce que nous avions à voir ensemble et
sur ce que nous devions voir sur ce chemin de vivre. C’est un
partage, une communion. Quoi demander de plus que cela dans le
fait de vivre ? C’est déjà tellement essentiel. Depuis que nous
nous sommes rencontrés, nous nous guidons. Qui connaît la route
de la vie ? Qui sait dire par quel chemin elle doit passer ?
« L’invitation à la rencontre est une invitation au voyage »,
c’est par ce chemin que nous nous sommes croisés et rencontrés
via le réseau cARTed, dont la devise est « The junction of the
century », et depuis nous voyageons. Après la mer du nord,
Rüdiger m’a guidé jusqu’à Altenahr pour me montrer les
rippels-marks de la plage fossilisée au flanc des montagnes, une
mer figée dans le temps de la vie. Là, il m’a montré le trou de
l’ange puis nous avons escaladé la montagne pour aller voir le
trou du diable. Là, j’ai pris une série de photos. Il y avait
une belle lumière, feutrée. J’ai adoré ce moment. J’ai pensé là
à mes grands-oncles morts au cours de la première guerre
mondiale. J’ai pensé là à toutes ces vies. J’ai pensé là au
reste du monde. J’ai pensé à toutes ces vies passées là qui ne
sont jamais allées voir le reste du monde. J’ai pensé au « Nid
de l’aigle ». J’ai pensé à toutes ces vallées encaissées où la
lumière du jour, la lumière de la vie, disparaît très tôt le
soir pendant qu’ailleurs elle brille encore. J’ai pensé à ces
heures sombres de l’histoire qui viennent à peine de se dérouler
dans l’instant face à ces plages figées dans la roche. J’ai
pensé à toutes ces vies passées là en direction des camps de la
mort. J’ai vu et j’ai regardé ce trou du diable en pensant à
toutes ces vies qui ne sont jamais allées à Jersey, qui ne sont
jamais allées à Guernesey, qui ne sont jamais allées voir la mer
du nord et qui ne sont jamais allées visiter le Kröller-Müller
Museum inauguré en 1938. J’ai ressenti à ce moment-là du froid
au fond de mon cœur, tellement de froid, que cela ne saurait
être jamais ressenti comme un simple « détail de l’histoire ».
Ensuite, nous avons continué à rouler dans la vallée, suivant
une route escarpée tracée dans la roche comme un cours d’eau qui
se serait tracé sa voie sans nulle autre échappatoire possible
que celle de suivre l’abrupte rocailleux naturel des montagnes
offrant difficilement le retour possible. J’ai mesuré là tous
ces espaces enfermés. J’ai eu envie de mer. J’ai ressenti au
fond de moi à ce moment ce besoin de revoir la mer. Je me suis
imaginé au fond de mon âme tous ces hommes venus hier de la mer,
par la mer, pour libérer l’Europe du diable et qui se sont
heurtés, confrontés, dans ces vallées, à tous ces trous du
diable. Là, j’ai mesuré toutes les difficultés rencontrées hier
par tous ces hommes venus se battre là pour libérer l’Europe et
qui se sont heurtés à toutes ces forteresses montagneuses
naturelles escarpées.
Le 21 septembre au soir,
Rüdiger m’a offert le restaurant. Il m’a amené dans un
restaurant mongol, pour me fêter mon anniversaire, mes 44 ans,
lui qui est né en 1944. Entre le « Ici » et le « Là-bas », c’est
bien plus le moment que l’endroit qui compte, qui importe, vivre
le présent, vivre le moment, vivre l’instant, être tout
simplement dans la vie en mesurant ce qu’il a fallu de temps
pour arriver jusqu’à ce présent. Cet homme ne spécule pas, ne
triche pas, il est naturellement bon, généreux, humain,
sensible, observateur. Son sens de la relation aux autres est
basé sur une éthique qui obéit à des valeurs morales nobles. Il
se moque totalement des apparences tant il a compris depuis
longtemps déjà que le vernis superficiel des « apparaître »
externes est bien fragile et futile. Aussi va-t-il à
l’essentiel. Je l’ai vu marcher dans les îles. Je l’ai vu
escalader des falaises. Je l’ai vu monter des marches. Je l’ai
vu rouler durant des heures. Je l’ai vu garder son calme en
toutes ces circonstances. Ce que je peux dire à propos de
Rüdiger Abshalom Westphal, c’est que nous sommes devant lui face
à un homme bon et devant un grand homme.
Durant mon séjour d’une semaine
dans son atelier en Allemagne, il m’a amené voir dans les douves
d’un château une trentaine de sculptures originales d’Arno
Breker, le sculpteur officiel d’Adolf Hitler. J’ai été
impressionné. Mais ce qui m’a vraiment le plus impressionné,
c’est lorsqu’il m’a amené voir des trous restés vides dans des
rues, entre des maisons, avec devant, pour seule indication, des
plaques commémoratives indiquant « ici était la synagogue…
détruite en 1938… ». J’ai ressenti là du vide, un vide étrange.
Après, Rüdiger m’a amené voir la maison natale de Max Ernst
après que nous ayons projeté à la Marienshule le film « Peace-Action
= Gun-Cutup » devant ses élèves. Après quoi Rüdiger et moi avons
programmé les dates pour exposer « Peace-Action = Gun-Cutup »
dans sa galerie en Allemagne en 2006 du 6 juin au 8 août 2006.
Vernissage programmé le 6 juin 2006 à 20h00 à Euskirchen.
Jean-François Aillet
Sculpteur