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Jean-François Aillet - Sculpteur / Designer - Projets en cours

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Journal de Bord

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JFA raconte sa rencontre avec Jean Moré

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Répartition géographique
des prélèvements

"Le Solitaire... des marées"

C'est quoi ce projet ? 

 

Biographie

Nom : Aillet
Prénom : Jean-François
Né le 22 septembre 1961
en Normandie

Développement

Chronologique

Parcours artistique

Formations

Dossier Médicis

 

Rencontres

JFA raconte
ses rencontres avec :

Jean Moré

Mariyo Yagi

Bob Lens

Rüdiger A. Westphal

Pascal Pithois

He,Jian

Phan Kim Dien

Inge van Kann

Ryosuke Cohen

Azim Shabal Nawabi

Natacha Androusov

Kaïdin M Le Houelleur

 

Témoignages

Ils se sont exprimé
sur le travail de JFA :

Pierre-Emmanuel Muller

Pierre Jaccaud

Joël Hubaut

Francis Vallat

Christian Lambert

Renaud Bonneville

Sylvain Sauvage

Patricia Cheval

Isabelle Schmid

Céline Lacaille

 

Portrait audio
sur JFA

Jean-Bernard Hollman

 

Portrait osé
Ancêtres

Fils de marin

Hommage à Jean Moré

...et les colonnes flottantes de Jean Moré

Jean Moré et JFA photographiés par Mariyo Yagi le 23 juin 2005.

Événement, ciel,
à l'ombre des vieux chênes !

3 juin 2005, Caen, 18h00.

J’ai rendez-vous avec un homme que je ne connais pas. Je ne l’ai jamais vu. C’est lui qui est censé me reconnaître dans la foule du Mémorial de Caen, à l’occasion de l’inauguration du «Revolver noué» de Carl Fredrik Reuterswärd. Lieu et moment que Jean Moré m’a fixé pour que nous puissions nous rencontrer. Les officiels sont au rendez-vous. L’ambassadeur de Suède est là. A ses côtés, la mairesse de Caen, Brigitte Lebreton, quelques politiques et membres de la délégation de l’ONU, la chargée de communication du Mémorial, quelques militaires aux médailles rutilantes de reflets dorés et argentés sous la lumière rasante du moment. Le vent est également au rendez-vous. Les drapeaux des nations claquent en haut des mâts. Je me campe au milieu de la foule rassemblée autour de Carl Fredrik Reuterswärd. Le moment est solennel. L’homme est assis dans un fauteuil roulant face à son œuvre recouverte d’un drap blanc qui ne demande qu’à s’envoler pour rejoindre tous ces drapeaux qui claquent au vent. Il ne manque plus qu’un mât pour accueillir ce drapé blanc. Mais qui se décidera un jour à le hisser là, ce drapeau, en ce lieu ?

Je devine un instant le «Pistolet au canon noué» sous l’envolée furtive du drap de cérémonie. Je regarde Carl Fredrik Reuterswärd assis dans son fauteuil, sa veste posée à revers d’épaules. Il est pieds nus, sans chaussettes, dans ses sandalettes. J’observe le geste attentionné de la mairesse qui, après qu’elle ait prononcé son discours, cherche à repositionner la veste envolée de Carl Fredrik Reuterswärd sur ses épaules. Le geste attire mon regard et retient mon attention. L’homme n’a pas de chaussettes dans ses sandalettes mais la politique cherche à le protéger du vent. Je m’interroge un instant. Je me dis que si l’homme avait été frileux, il aurait pris soin de mettre des chaussettes ! Petit détail surpris à l’envolée d’une inauguration.

Jean Moré a fait le tour de la foule, s’est arrêté à ma hauteur, m’a regardé droit dans les yeux et s’est exprimé : Jean-François Aillet ? J’ai répondu : Oui, bonsoir Jean. Je ne connaissais pas l’homme. Quelques e-mails échangés entre le 1er janvier et ce mois de juin 2005 nous avaient permis de tisser les liens de ce premier contact.

Chargé de mon sac à dos, Jean m’a regardé, tendu son trousseau de clefs en me disant : Si tu veux t’alléger, je suis garé là. Tu vas voir, c’est un 4X4 marqué «Colonnes Flottantes». Il est là derrière. Tu ne peux pas te tromper.

Je prends son trousseau de clefs. Effectivement, le 4X4 est garé là, juste devant. J’appuie sur la télécommande. J’ouvre la portière et je m’allège de mon paquetage. Rendez-vous était fixé pour que nous puissions nous rencontrer les 4 et 5 juin 2005 afin que Jean puisse me montrer son travail dans le Cotentin, après mon retour de Bruxelles où j’étais allé sculpter en début d’année une «Sirène ailée à tête de licorne» au détour d’une escapade en Provence via Marseille.

«Colonnes Flottantes», c’est ce qui est écrit à l’arrière de son 4X4, sur la bâche qui protège sa roue de secours. A cet instant, je n’en sais pas plus. J’ai bien reçu quelques photos par e-mails en début d’année mais je n’en sais pas davantage sur son travail. Cependant, les quelques quatre ou cinq photos reçues en fichiers joints ont suffisamment attiré mon attention pour me donner envie de rencontrer le bonhomme.

Allégé de mon sac à dos, je retrouve, au milieu de la foule, Jean Moré qui accompagne là son ami Alain Jouffroy, le célèbre poète français, venu de Paris prononcer un discours pour son ami Carl Fredrik Reuterswärd.

Qui est Carl Fredrik Reuterswärd ? Carl Frederik Reuterswärd est l’un des artistes les plus renommés au monde. Ses œuvres sont exposées dans les plus grands musées d’art contemporain tant en Europe qu’aux États-Unis. Après l’assassinat de son ami John Lennon, il créa le «Revolver au canon noué» comme un symbole de paix dans le monde entier. Ce revolver de taille monumentale se trouve devant le siège des Nations Unies à New York et une œuvre de taille plus modeste, intitulée «Non violence» vient d’être inaugurée le 4 juin au Centre Culturel Suédois après le Mémorial. C’est ce que l’on peut lire dans toutes les revues de presse.

Je regarde Jean Moré. J’écoute le discours d’Alain Jouffroy. Je regarde Carl Fredrik Reuterswärd. J’écoute le discours des politiques. Je suis séduit par l’artiste, humble, assis là dans son fauteuil roulant, sans chaussettes dans ses sandalettes, face aux officiels.

L’inauguration se termine. Le «Revolver noué» est dévoilé. Le drapé blanc a été jeté là derrière, au rebut des discours. Je reste sur ma faim. Je me dis que l’œuvre est incomplète. Les politiques ont été trop timides encore une fois. Ils auraient dû lui prévoir un mât pour le hisser bien haut justement à ce moment-là. L’occasion est manquée. Il faudra attendre encore un prochain siècle, un prochain Carl Fredrik Reuterswärd.

Je m’écarte de la foule qui se dirige vers les bouteilles de champagne. Je retrouve Jean Moré, accompagné de sa femme Diana, à l’écart, afin que nous puissions faire plus ample connaissance. Nous échangeons tranquillement en retrait des petits fours. Je m’arrête devant quelques poutrelles métalliques posées là, derrière, vestiges des tours jumelles effondrées. Je reste là un long moment à observer les détails de ces poutrelles. J’apprends que Diana est roumaine d’origine hongroise, architecte. Jean passe un coup de téléphone en me disant : Tu nous accompagnes !

Je monte dans sa voiture. Il nous conduit jusqu’au centre ville, sur le port, où il gare son 4X4. Nous entrons dans un restaurant. La table est réservée pour onze personnes. Nous patientons quelques minutes. Les invités arrivent, s’installent un à un autour de la table. Petit comité d’amis : Alain Jouffroy, sa femme Fusako, Carl Fredrik Reuterswärd, sa femme Tony, Jean Moré, sa femme Diana, son fils Alex, Françoise Passera, responsable du pôle scientifique du Mémorial, un galeriste suédois Kent Belenius et sa femme Annette Lindegaard-Belenius, danseuse, et moi-même. L’ambiance est à l’amitié. L’amitié de deux hommes réunis qui se connaissent depuis plus de cinquante ans, l’amitié d’Alain Jouffroy et de Carl Fredrik Reuterswärd qui nous font l’honneur de nous recevoir et de nous accueillir à leur table.

Voilà comment j’ai rencontré Jean Moré, cet homme dont je ne connaissais pas les traits de visage quelques dizaines de minutes auparavant, juste quatre ou cinq photos de son travail. Mais que savais-je de son travail ? Rien ! Je ne savais pas même son métier.

Aussi, que puis-je dire de cet homme qui m’a conduit comme cela jusqu’à cette table pour partager cet instant ? Me suis-je retrouvé là par hasard ? Pas vraiment. Après avoir passé mon 31 décembre 2004 avec une trentaine de personnes, j’avais remis ma carte de visite à une personne sans lui dire ce que je faisais. Une semaine plus tard, je recevais dans ma boîte à mails un e-mail de Jean Moré me disant qu’il avait visité mon site Web et qu’en échange il m’envoyait quelques photos de ses réalisations en me proposant son aide s’il pouvait m’aider en quoi que ce soit. Ce à quoi j’ai répondu, devant ses photos, qu’il me paraissait nécessaire qu’il possède lui-même son propre site Web afin qu’il puisse faire connaître plus rapidement et plus aisément son travail. Je lui ai proposé mon soutien en lui disant que cela ne me prendrait que quelques jours pour lui concevoir un fond de site. Nous nous sommes fixés rendez-vous pour que je puisse en découvrir plus. Voici comment quelques mois plus tard nous nous sommes fixés les 4 et 5 juin 2005 pour qu’il puisse m’en montrer davantage.

A la sortie du restaurant, après avoir salué Carl Fredrik Reuterswärd et sa femme Tony et pris congé des autres invités, Jean Moré, Alain Jouffroy, Fusako, Diana, Alex et moi-même avons pris la route en direction du Cotentin jusqu’à Carentan. Arrivés à hauteur de Carentan, nous avons bifurqué en direction de La Haye-du-Puits. Nous nous sommes ensuite engagés sur des petites routes nocturnes jusqu’à Prétot-Sainte-Suzanne où Jean Moré, Diana et Alex m’ont accueilli dans leur maison perdue au beau milieu du bocage normand, au cœur d’herbages et de champs d’herbe verte, des champs de pommiers et de vieux chênes bicentenaires. J’ai dit à Jean, en arrivant : Ben, dis-moi, lorsque l’on veut aller chercher du pain par chez toi, il vaut mieux savoir où habite le boulanger ! Jean m’a répondu, oui, en me souriant.

Voilà une rencontre humaine comme je les apprécie et comme je les aime. Jean m’a conduit jusqu’à une chambre d’ami, m’a montré un lit en me demandant si j’avais déjà dormi sur un lit d’eau ? J’ai répondu : Non. Je lui ai alors demandé un peu plus de précisions. Il m’a montré un matelas, en a soulevé les couvertures en me disant : C’est un matelas que j’ai fabriqué. Il est en polyuréthane. Il est rempli d’une eau chauffée avec une régulation thermostatique. J’espère que tu vas bien dormir. Ce à quoi j’ai répondu : Je vais essayer. Je n’ai encore jamais dormi sur un truc pareil.

Le lendemain matin, je me suis réveillé en ayant eu l’impression d’avoir passé la nuit à faire la planche, bercé sur la surface de l’océan en plein milieu de la campagne normande : Sensation étrange mais sensation agréable. J’ai dit : C’est toi qui as fabriqué cela ? Jean m’a répondu : Oui ! J’en ai fabriqué une cinquantaine comme celui-là, mais ça n’a pas marché... Bon ! Cet homme m’a fait dormir sans me prévenir sur un de ses prototypes et, très franchement, je dois dire que j’ai passé là une de mes plus belles nuits de sommeil.

Mais il fait quoi cet homme ? C’est à ce moment-là que je me suis sérieusement posé la question. Il m’a dit : Je gonfle des trucs et là, il m’a montré son atelier et s’est mis à gonfler. Il m’a montré des cordages, des valves, des mousquetons, des manilles, des sangles, des câbles, ses machines à souder, un aspirateur télécommandé inversé, des boudins longs de 10 m, 15 m, 20 m, 30 m. Je me suis dit : Mais, c’est qui ce type ? Qu’est-ce qu’il fabrique avec tout cela dans son atelier, avec des machines et des machins pareils au beau milieu du bocage ? Là, il m’a guidé à l’extérieur, vers un espace vert de son terrain, à l’ombre de vieux chênes. J’ai regardé autour de moi, pivoté sur 360°. J’ai vu des membranes partout, des cordages enlacés autour des vieux troncs. Jean a sorti une télécommande de sa poche. Il a appuyé sur un bouton et un souffleur en forme d’aspirateur s’est mis en marche au milieu du champ et là, là..., je suis resté sans souffle, bouche bée. Ce type m’a tout simplement coupé le souffle, laissé sans voix. Il m’a ouvert mes yeux d’enfant, m’a invité dans son monde, dans son univers de rêve et le manège s’est mis à tourner. Le monde qu’il m’a montré, son monde, m’a tout simplement émerveillé et rempli de bonheur tellement c’était beau. Le moment était beau. Il s’est mis à gonfler comme un magicien gonfle et tortille des baudruches sous les feux des projecteurs du chapiteau sauf que là la toile du chapiteau était remplie de nuages au travers desquels on pouvait voir voler les oiseaux et passer les avions. Les tortilles se sont mises à grimper dans les arbres comme un charmeur de serpent fait sortir des cobras avec le son mélodieux des troués d’un bambou. Le pipeau de Jean Moré fait un barouf du tonnerre mais alors ses serpents... Des boudins se sont mis à grossir et à s’élever de 2 m, 3 m, 5 m, 10 m, 15 m de hauteur et plus. Je me suis assis dans l’herbe. Je n’ai plus rien dit et j’ai regardé le manège s’opérer devant mes yeux. Durant des heures, là, j’ai vu un homme aller et venir dans tous les sens, courir, s’agripper aux mousquetons, tirer sur des ficelles et des cordages comme un funambule active ses marionnettes tout en jouant aux équilibristes sur un filin de verdure.

Au bout d’un moment, après avoir assisté à tout ce préparatif d’accastillage, ce dressage de drisses, d’haubanage et de hissage de toiles en polyuréthane, au beau milieu des herbages, ce type m’a fait passer de l’autre côté du paysage. Il m’a embarqué pour une croisière inouïe au travers des cimes. Je me suis senti voler. Il m’a fait décoller de mon humain accroché au plancher des vaches. Il m’a fait rêver d’un rêve éveillé. Ce type, par sa magie, m’a tout simplement procuré du bonheur, de ce bonheur rare que seuls les grands artistes sont capables de créer et de mettre en œuvre.

Là où la veille il me guidait vers une inauguration, celle du «Pistolet noué», le lendemain, à cet instant, chez lui, dans le Cotentin, je me suis questionné sur la véritable inauguration à laquelle je venais d’assister la veille : Lequel de ces deux hommes était le vrai sculpteur ? Celui exposé devant le siège des Nations Unies, à New York, qui fait des nœuds au bout des revolvers ou bien celui ignoré au fond de son bocage, qui fait des nœuds au bout de ses tubes en polyuréthane ?

A mon questionnement, je n’ai trouvé qu’une seule réponse : En moins de 24 heures, j’ai tout simplement rencontré deux grands sculpteurs en la personne de Carl Fredrik Reuterswärd et celle de Jean Moré. L’une, arrivée au bout de sa vie d’artiste, l’autre qui ne sait pas encore qu’elle en est un ou qui ne veut pas se l’avouer parce qu’elle ne provient pas d’un cursus artistique. Alors, l’homme Jean Moré doute, se pose des questions, pense qu’il ne peut pas être un artiste.

L’un connu, l’autre pas. Peu importe d’être connu ou pas, reconnu ou pas. L’important est de faire. Et là, avec Jean Moré, nous sommes servis. Il fait sans dire, sans poser de questions et l’art qu’il nous livre, franchement, est du grand art digne des plus grandes œuvres.

Gonflé le type, parvenir à associer comme il le fait des boudins en polyuréthane en empruntant à la fois au dessin, à la danse, à la chorégraphie, à l’alpinisme, sans être ni dans le nommé des choses ni dans le dire de la forme, entre le brin d’herbe et le mouvement, le biorythme et le balancement, la célérité du mouvement et l’estampe, le souffle du vent et l’ondulé des courants d’air, la sinuosité des rondeurs et l’incurvé des renflements, le dévers des axes balourds et la légèreté du gestuel posé, là, au dessus de la ligne tracée de l’horizon… Oui, Jean Moré ne manque vraiment pas d’air.

Pragmatique, par son métier d’inspecteur de la sécurité du travail, en véritable professionnel, l’air de rien, il a su transposer et effectuer de façon cognitive le transfert de ses savoir-faire et sans trop s’en rendre compte au départ, là où il cherchait à améliorer la sécurité du travail sous les chapiteaux industrieux de notre monde rationnel, il est entré de plein pied sous le chapiteau du grand royaume de la création artistique. Il s’est ouvert un champ d’investigation où il s’est surpris lui-même, se réfugiant derrière l’a priori de se dire : Non, mais non, ce que je fais, ce n’est pas de l’art. Je ne suis pas un artiste. Je ne peux pas être un artiste.

Mais si, Jean, justement, ce que tu fais, c’est de l’art. Tu es un artiste. Et non seulement tu es un artiste, mais tu en es un grand. L’art, c’est justement cela. C’est un truc qui te tombe dessus, comme cela, par hasard ou pas, qui s’élève et t’élève en même temps. L’art nous aide à nous élever et l’art que tu ériges dans ton champ mérite à mon sens toutes les attentions les plus dignes et les plus respectueuses car, avec tes installations, tu nous obliges à remonter la tête et non à courber l’échine.

Dirons-nous : Suffit-il de gonfler des trucs pour être un artiste ? Alors, dans ce cas, tout le monde est artiste ! Ben, non, justement, tout le monde n’est pas artiste. Des personnes qui gonflent des trucs, j’en connais quelques unes ! Mais des personnes qui gonflent des trucs comme toi tu le fais, moi, il m’a fallu attendre d’avoir 43 ans pour en rencontrer une et pourtant je suis quelqu’un qui bouge beaucoup et qui voyage souvent. Non seulement tu es un artiste mais en plus tu es un véritable poète. Réussir comme tu le fais à faire émerger l’art justement là où l’on s’attendrait le moins à le voir émerger, tu es vraiment gonflé ! Jean Moré, j’adore ta démarche.

Il ne te reste plus qu’à te trouver quelques commanditaires et fabricants de matière première qui voudront bien t’approvisionner maintenant en rouleaux de polyuréthane afin que tu puisses dans l’avenir aller nous chorégraphier de nouvelles structures en des lieux inattendus et judicieusement choisis. Ce chemin que tu as parcouru seul est immense. Je n’ai aucun doute quant à ton avenir d’artiste. Tu tiens le bon bout du tuyau ! Ce qu’il te reste à faire maintenant, c’est d’oser ! Et quand un mec tout seul est capable, comme tu le fais, de nous gonfler des trucs de 20 m, 30 m de haut dans le fond de son terrain, il faudrait être soit aveugle soit jaloux pour ne pas voir qu’il y a là quelque chose qui est en train d’émerger.

Maintenant, reconnaître ou pas si ce que tu fais est de l’art ou pas ? Tu sais, les discours des officiels, c’est aussi de l’air et du vent. Alors souffle, Jean, souffle et ne te dégonfle pas. Tu n’as que faire des discours officiels quand le plus important est de faire ; toi tu fais et tu n’as attendu personne pour faire jusqu’à présent.

1998-2005 : En moins de 10 ans tu as su acquérir la technique, une technique digne des plus grands. Quand tu auras dépassé les 70 ans, auras-tu toi aussi droit à des discours comme ce fut le cas pour cette inauguration et droit à des retrouvailles comme ce fut le cas entre un Alain Jouffroy et un Carl Fredrik Reuterswärd ? Ce qui est officiel est tout aussi éphémère que tes structures gonflées. C’est probablement ce que nous devons en retenir comme leçon. L’important est ce qui reste et quand bien même tes installations ne durent qu’un instant, elles ont en elles bien plus de capacité à s’imprégner dans la durée qu’on ne pourrait le penser à première vue.

Cet «événement-ciel» que tu apportes et que tu mets en œuvre procure à mes yeux et à mon âme autant d’effets qu’un «Revolver au canon noué», sans dénigrer en quoi que ce soit ni cet artiste ni cette création. Carl et toi êtes doués pour faire des nœuds !

J’ajouterai pour conclure sur Jean Moré : Depuis que je l’ai vu gonfler un ballon de plus de 2 m et jouer avec comme il l’a fait devant mes yeux dans le fond de son terrain, cet homme m’inspire le plus grand respect. Brancusi, en quittant l’atelier de Rodin, disait : «Au pied des grands arbres, il ne pousse rien !». Là, le moins que l’on puisse dire, avec Jean Moré, c’est qu’au pied de ses vieux chênes, il a trouvé matière à faire pousser quelque chose et il nous a fait la démonstration de la façon la plus simple et la plus évidente qu’il n’a eu besoin ni de Brancusi ni de Rodin pour trouver cette énergie. C’est venu de lui, tout seul, comme un grand.

Quand vous irez dans le Cotentin, si vous apercevez un type dans le fond de son terrain forcer sur le boudin, ne vous inquiétez pas, c’est tout à fait normal ! Ce sera Jean Moré qui forcera sur ses baudruches et qui s’exercera à l’art du hissage. Si vous y voyez là un grain de folie, c’est alors qu’il sera temps pour vous de vous questionner sur ce que vous vous faites pour améliorer votre ordinaire ? Pour ma part, un homme comme Jean Moré, qui fait des trucs comme ça, me donne envie de me déplacer pour aller le voir.

Devant les colonnes hissées de Jean Moré, nous redevenons tous pour un instant des Rapa Nui, isolés, à contempler le ciel face à un acte éphémère du levé qui génère autant de phases intermédiaires chorégraphiées que l’œuvre elle-même installée. Il y a dans son travail quelque chose qui appartient bien plus à la danse qu’à l’amoncellement «mikadéen» de simples baudruches primairement nommées. Toutes ces trajectoires physiquement éprouvées, qui le mènent à hisser sa matière poétique, sont autant de respirations retenues qui, à mon sens, ne sauraient être dissociées du résultat final.

Nous étions là, réunis dans le Cotentin, la veille d’un 6 juin. J’étais loin alors de me douter, à ce moment-là, de ce qui allait nous réunir à nouveau tous les deux, un an plus tard, en Allemagne, le 6 juin 2006...

Jean-François Aillet
Sculpteur


JFA vous invite à découvrir les colonnes flottantes
de Jean Moré

0079

Collecte N° 0079

 

 

Prélèvement international de matière première

Intention : Faire rassembler le plus rapidement possible, par 7000 personnes à travers toute la planète, 7000 sables de toutes les mers du monde afin de faire venir la silice nécessaire pour réaliser le diamant destiné à aller coiffer le projet "Le Solitaire... des marées" et concevoir une place publique destinée à rassembler les sables de toutes les mers du monde autour de ce projet.