Kaïdin Monique Le Houelleur
- Peintre et Sculpteur
Comment vous parler de cette rencontre
avec Kaïdin et comment vous parler de Kaïdin ? M'aventurerais-je à
reprendre ici, en introduction, cette
►
biographie pour vous en parler que cela ne
saurait résumer en rien ni cette
rencontre particulière ni son parcours tant il y a chez cette femme
quelque chose d'étranger et de totalement atypique aux parcours dits
"classiques et traditionnels".
Vietnamienne franco-ivoirienne, de
double nationalité française et ivoirienne, vivant en Afrique, puisant
ses inspirations et ses influences auprès des Dogons, des Touaregs, des
femmes Kassenas, exposant ses créations en Chine autant qu'au fin fond
de la forêt primitive ivoirienne autant qu'au Quai de Branly à Paris où
dernièrement au Japon au cours d'itinérances sur les traces du poète
Matsuo Bashô, il est en effet amusant de lire dans sa biographie :
autodidacte !!!
Comment aurait-il pu en être autrement
? Quelle école d'art aurait pu en effet la former pour lui apporter tout
ces savoirs métissés, trans-culturels et ancestraux, pour qu'elle puisse
devenir sculpteur et/ou peintre ? Difficile à dire et peu importe tant
ce qui importe et force l'admiration, devant l'oeuvre de Kaïdin, c'est
qu'elle ait su s'inventer elle-même son propre véhicule pour emprunter
adroitement et habilement des chemins de traverse à la croisée de toute
cette interculturalité pour nous rapporter de ses itinérances, de ses
voyages, de ses trans-mutations, ces "choses" qui nous transportent avec
tellement de poésie jusqu'au "sacré".
J'ai d'abord reçu, en février 2008, un
long e-mail de 40 pages qui m'a été envoyé, à propos du travail de
Kaïdin, par mon ami
►
Jean Moré,
rencontré au moment de l'inauguration du "Révolver nouée" en 2005 où il
m'avait alors présenté Fusako et Alain Jouffroy. Par ce long e-mail,
Jean Moré m'invitait à aller découvrir le dossier de présentation de la
marche de kaïdin au Japon, précisant que cela devrait m'intéresser avant
que moi-même je ne m'apprête à aller marcher...
Comment vous parler de cette rencontre
avec Kaïdin ?
Le mieux, pour vous permettre de mieux
cerner le personnage, c'est de vous montrer ces quelques photos que j'ai
pu prendre lors de notre rencontre dans cet atelier parisien où elle
entrepose quelques pièces...
Tout d'abord cette pièce, une
pièce immense, tendue... Qu'avons-nous là en fait ? Du cuir, des
coutures, des pigments, des pictogrammes, des rapiècements...
J'ai sonné à la porte. Kaïdin est venue m'ouvrir. Cinq minutes
plus tard, en plein Paris, je me suis retrouvé devant cette
toile de tente touareg qu'elle est allée ramasser dans le
désert, tendue au mur, après qu'elle soit allée peindre dessus
des pictogrammes qu'elle est allée décalquer dans le désert. Les
pictogrammes sont préhistoriques. La toile de tente cousue de
plusieurs peaux de chameaux est centenaire.
Bon, pour une entrée en
matière, voila une femme qui a un sens peu commun et très
particulier de faire du camping ! La pièce est somptueuse : 6 m
de long, 4 m de haut. On se demande pourquoi elle n'est tout
simplement pas accrochée dans un musée ?
Font face à cette toile de
tente touareg d'étranges portes dressées à l'instar de chevalets
qui ressemblent à des châssis à bois massifs. Toutes portent des
noms évocateurs : "Porte de l'Énergie", "Porte de Mamy
Watta, "Porte
d'eau", "Porte de Djado", Porte de Ogun, "Porte du soleil noir",
Porte de la parole de l'eau", "Porte de la forêt", "Porte du
Sigui".
C'est en fait par ces portes
que l'on entre réellement dans l'univers sacré et onirique de
Kaïdin. Elles sont autant d'entrées et de passages démultipliés
vers des mondes parallèles auxquels elles nous invitent.
D'un aspect sériel, aucune ne
se ressemble cependant. Elles sont à la fois cabalistiques,
poétiques et autant d'approches expérimentales du divin. Je
m'imagine alors les voir se déployer dans un hall d'aéroport
pour former, le temps d'une exposition, un déambulatoire au
travers duquel pourrait évoluer toute la transculturalité
planétaire, le temps de quelques escales...
A côté de ces portes sont
entreposées des dizaines et des dizaines de sculptures en bronze
de facture plus classique bien que séduisante. Des pièces que
l'on imagine participer à l'espace intérieur, toutes connotées
de symboles sacrés dogons, etc. Mais ce n'est pas là que se
situe la vraie dimension artistique de Kaïdin.
Ces sculptures sont, certes,
intéressantes mais pour découvrir véritablement la dimension de
l'oeuvre artistique de Kaïdin, c'est probablement davantage par
cette porte et au travers de cette porte qu'il nous faut entrer
à travers ce symbole des Dogons.
Par ce symbole, Kaïdin nous
invite dans un autre monde, celui qui est allé la mener jusqu'au
coeur de la forêt ivoirienne et maintenant jusqu'au Japon sur
les traces de Matsuo Bashô.
A l'issue de cette première
rencontre dans cet atelier parisien, Kaïdin m'a offert un livre
que j'ai alors ouvert et feuilleté. En 1999, Kaïdin s'est
aventurée au coeur de la forêt ivoirienne d'où elle a rapporté
une série extraordinaire d'installations toutes plus fascinantes
les unes que les autres. Une série aujourd'hui rassemblée dans
un livre intitulé "Forêts secrètes, secrets d'eau" aux
éditions FAGE, avec des photos de Vincent Fougère et des textes
d'Alain Borer, de Dominique de Villepin.
En feuilletant "Forêts
secrètes, secrets d'eau", j'ai alors découvert la vraie
dimension de l'oeuvre sculpturale de Kaïdin, une oeuvre
sculpturale d'une extrême poésie et d'une rare beauté où le
langage nous échappe pour laisser place purement et simplement
aux dimensions du sacré. Ce que j'ai vu dans cet atelier à Paris
n'est rien rapporté face à l'oeuvre produite en forêt ivoirienne
et au Japon par kaïdin où, dans ses itinérantes installations,
elle est tout simplement allée converser avec les Dieux et son
discours avec eux touche au sublime.
De cela nous en est rapporté
un support photographique, unique trace factuelle qui subsiste
de ses interventions au travers de l'oeil du photographe à quoi
s'ajoute la trame de l'écriture. Cependant, ne nous y trompons
pas tant avec Kaïdin nous sommes dans une communion des
espaces-temps entre le "ICI" et le "LÀ-BAS" où le corps est
graphie et la gestuelle posée est le souffle, l'image figée n'en
constituant au final que la mémoire et non l'énergie.
Chaque installation de Kaïdin
est une concentration d'espaces-temps. La moindre feuille posée,
la moindre brindille, le moindre pétale, la moindre fleur, la
moindre graine participent d'un ensemble qui potentialise le
temps des saisons qu'il aura fallu attendre pour que puisse
pousser une graine, en sortir une feuille, en sortir une fleur,
se fabriquer un lin seul qu'elle choisira ensuite d'assembler à
la fois comme une prière et comme une offrande tant nous ne
saurions ni négliger ni oublier d'où elle vient afin de mieux
comprendre son travail en regard de son Viêt Nam natal sur lequel
les humains sont allés déverser tant d'Agent orange, de ce défoliant
destiné à supprimer toute forme de vie avec maintenant comme
mesure tous ces effets génétiques secondaires et dévastateurs
que nous connaissons.
Tous ces haïkus de Kaïdin
réalisés au Japon sur les traces de Bashô, avec cette contrainte
rigoureuse d'arpenter chaque jour le territoire, de s'imprégner
de ses espaces pour en percevoir et en ressentir les lignes de
force, les trames d'énergies, comme elle le fait, sont autant de
gestuelles posées que de chefs-d'oeuvre aboutis des Grands
Maîtres, des lavis posés d'un seul mouvement qui contiennent en
eux le tout.
Enfin, à travers cette
découverte de l'oeuvre de Kaïdin, quelle merveilleuse surprise
de me rendre compte que c'est Alain Borer, que je n'ai pas revu
depuis 28 ans, qui a écrit le texte de "Forêts secrètes,
secrets d'eau".
Alain Borer était mon
professeur lorsque j'étais élève à l'école des Beaux-arts de
Tours
►
École des Beaux-arts - 1980. Il
publiait à l'époque, dans la revue de cette école des Beaux-arts, ce
petit poème que j'avais écrit : "Il y a..."
Aussi, Kaïdin, c'est une joie
de te l'offrir en lecture aujourd'hui, 28 ans après, en te
chargeant de communiquer de ma part à Alain que cela me ferait
un immense plaisir de le revoir après toutes ces années.
Nous n'avons qu'une vie,
celle qui ne nous passionne pas forcément.
L'autre, nous passons
notre temps à la rêver à longueur de journées…
Rimbaud disait : "La vraie
vie est ailleurs !".
Notre vrai problème, à
nous, c'est que nous sommes ici.
Dans ce contexte, il y a…
Il y a les choses que l'on
regarde, et notre capacité pour les imaginer autres.
Il y a la vie que l'on
éprouve, et celle qui est là pour nous éprouver.
Il y a le temps qui nous
effleure le visage, et notre âge pour nous en moquer encore.
Il y a la pluie,
merveilleuse, belle, fantastique, superbe, pour nous laver les
yeux de l'orage.
Il y a le vent, sublime,
enjoueur, câlin, que l'on étreint, et qui nous entraîne.
Il y a le temps, et là-bas
devant le ciel. Ah ! J'allais oublier la veille,
pour nous en rappeler
encore le lendemain.
Il y a ce qu'il ne faut
pas oublier, la vie. Bon dieu, comme c'est merveilleux.
Écoute, regarde, ferme les
yeux… Non, fais-le quand tu seras seul(e),
tes ami(e)s ne
comprendront pas.
C'est une histoire entre
toi et toi et la vie, dans la vie. Tu comprends…
Tu comprends ce qui est en
train de se passer ? Tu es là.
Non, là-bas, c'est
ailleurs. Oui, je sais, tu aimerais bien y être, y aller.
Mais ce n'est pas ça.
Là-bas, tu y seras. Et après, tu feras quoi ?
Quoi de plus que là où tu
es tout de suite ?
Écoute, écoute la vie… Tu
l'entends ? Elle est belle, hein !
Si, elle est belle,
superbe même.
Oui, je sais, il y a
l'orage là-bas.
Et le tonnerre aussi. Ce
n'est pas un jeu.
Mais après... C'est lui
aussi qui me fait écrire aujourd'hui
sans craindre pourtant de
dire… Oh ! Bon dieu que la vie est belle.
La misère, je connais. La
guerre, j'ai vu ce qu'elle a fait chez moi.
Les pâquerettes des
champs, oui, c'est vrai, elles sont blanches.
Il y en a des champs, des
champs et des champs.
Des champs de marbre, des
champs de marbre blanc.
Non, cela il faut oublier.
Mais oublier en partie seulement.
Superbe même. Celle-là, il
ne faut pas l'oublier.
Tu sais, moi, je n'ai
envie de rien.
Je regarde, je passe,
j'écoute, mais au fond de moi, je n'ai envie de rien.
Si, bien sûr, il y a ce
que je veux faire. Mais ça ce n'est rien.
C'est un jeu. Alors je
joue...
L'enjeu…? La mise est
grande.
C'est vrai, c'est moi que
je joue.
Cela, je ne sais pas
l'expliquer. Mais ce n'est pas très important.
Savoir : t'auras qu'à dire
que tu sais pas.
Si on te demande, t'auras
qu'à dire que tu sais pas. C'est Tout.
Tu comprends. Tu comprends
la vie…
Il y a… Il y a celle que
tu vis.
Celle qui t'entraîne tous
les jours.
Oh ! Oui, bien sûr, celle
qui te pousse et qui te presse contre les autres.
Ce n'est pas de cette vie
là que je veux te parler.
Je veux te parler de
l'autre, de celle que tu laisses à côté.
Écoute, écoute la vie, tu
l'entends ?
Non, pas celle de dehors.
Mais celle qui est en toi et que tu portes dans ta tête. Tu
l'entends…?
Ajouterais-je, en conclusion
de cette première rencontre, celle où tu accepterais que nous
programmions ensemble, à l'issue de nos marches respectives, une
marche africaine en jalon de lancer en Afrique la collecte des
sables sacrés des chefs des tribus dans la perspective
d'organiser en Afrique la 3ème Rencontre Internationale Spéciale
"Le Solitaire... des marées". Une Trans-Africaine où nous
commencerions par aller chercher le sable des Dogons pour faire
venir ensuite tous les sables du continent Africain.